"Le papillon-tortue" est une chanson écrite et composée en 1988. Son histoire est assez sympa et pleine de symboles.
Me dirigeant vers l'Amérique du sud, je roulais depuis le Canada sur un vélo acheté à Montréal. A cette époque, j'étais en plein questionnement mystique. Rouler sur un vélo pendant des milliers de kilomètres était propice à la méditation et la prière pour le jeune homme en quête d'absolu que j'étais (25 ans). Les pensées défilaient dans ma tête à chaque coup de pédale. Puis au cours d'une après-midi caniculaire sur une route du Mississipi, deux images se sont imposées à ma conscience, toutes deux empruntées au règne animal. Chacune évoquait les deux polarités d'une dualité fondamentale, celle de l'incarnation de tout être humain.
Quasiment ventre à terre, la tortue semblait m'indiquer par son horizontalité, les contraintes de la matérialité. Lourde et lente, elle évoquait la pesanteur, me faisait penser aux pentes raides que j'avais eu peine à gravir à vélo en traversant les Apalaches. Mais à vélo, je me sentais aussi libre et léger qu'un papillon. La verticalité de son vol me tirait vers le haut. La double métaphore animale m'incita dans les jours qui suivirent à nommer mon vélo "Le papillon-tortue".
Inspiré par ces deux symboles, les images ont tourné dans ma tête, des mots sont venus, peut-être même quelques notes. Il était temps de faire une pause et de ne pas laisser se diluer cet appel à la création. J'ai trouvé un porche accueillant, quelques marches à l'ombre. J'ai retourné ma guitare pour en faire un écritoire. Les mots et les notes sont venues aisément, le papapillon et la mamantortue ont accouché de l'hybride que je ne cesse d'être. La chanson fut arrangée et enregistrée en 2009 par Sébastien Fillion. Elle figure sur mon premier album.
Mais le fond de cette boutade légère est bien plus métaphysique que cette sympathique chanson. Il s'agit de trouver sa place sur Terre, plus ou moins écartelé entre la matière et l'esprit, les pieds sur Terre et la tête dans les nuages. Gros challenge d'incarnation pour chacun de nous...
Il y a bien longtemps, ma maman, lentement,
Mon papa, voletant, unissaient les éléments
Terre et ciel harmonisant, des rythmes différents,
Oui mais jamais à contretemps
Cette union farfelue, cet amour imprévu
Allaient donner un hybride inconnu
Né d’un papapillon et d’une mamantortue,
Je suis un papillon-tortue
Dis-moi maman pourquoi, dis-moi papa comment,
A-t-on besoin d’un toit qui n’est jamais changeant
Qui reste au même endroit, mais le monde est si grand
Si j’ai le choix, je pars maintenant
On a plus souvent qu’on croit le choix de son fardeau
Alors j’ai mis ma maison sur mon dos
Né d’un papapillon et d’une mamantortue,
Je suis un papillon-tortue
Dis-moi papapillon, dis-moi mamantortue
Mais, qu’est-ce que nous cherchons, y’a tant de gens perdus
« Répondre à tes questions nous paraît bien ardu,
La route est longue et parfois biscornue »
Et dans les droits sillons et les chemins tordus
J’me suis trouvé là où j’me croyais perdu
Né d’un papapillon et d’une mamantortue,
Je suis un papillon-tortue
Voilà maman pourquoi, voilà papa comment
S’est profilé devant moi un destin passionnant
Dans mon cœur j’ai la foi, cet amour transcendant
Qui coule en moi comme l’eau d’un torrent
Et quand il fait chaud dehors et que j’ai froid dedans
Je vais y tremper mes lèvres souvent
Né d’un papapillon et d’une mamantortue,
Je suis un papillon-tortue
A courailler la planète, des images plein la tête
Des amours plein le cœur, des couleurs à l’intérieur
J’peux pas garder tout ça pour moi, ça ne m’appartient pas
J’ai bien plus de joie à partager avec toi
Et si un vent t’appelle, et si tu y prends goût
Ouvre tes ailes et mets tes deux pieds dans la boue !
Né d’un papapillon et d’une mamantortue,
Tu seras un papillon-tortue
En 2017, un film d'aventure porte le même titre. Léger et libre comme l’air, pesant et ventre à terre, le papillon-tortue est un hybride, un être mutant et poétique. C’est aussi le nom que le réalisateur avait donné à son vélo pendant qu’il pédalait de Montréal à Bogotá en 1988. Presque 30 ans plus tard, il témoigne à chaud de cet autre vélo-trip : Chambéry-Sahara aller/retour via Italie, Tunisie, Algérie, Espagne, France, en conditions hivernales. Filmé et monté sur place au cours des 6000 km du parcours, Le papillon-tortue retrace une aventure dont le thème central est la fraternité entre les peuples.
Le film dans son entièreté est en lecture libre sur Youtube :