juste milieu

2010, Le juste milieu


Quand il changea de milieu, le juste ajusta sa vision du milieu. A mille lieues du milieu, le juste mit mille œufs dans le même panier et mit mille paniers dans le même œuf. Le millième panier ne contenait qu’un œuf alors que les autres en comptaient neuf. Ce juste a l’œil juste au milieu du front. L’œil de ce juste voit le juste aux mille yeux. De même, les mille yeux du juste voient le juste à l’œil. Du juste aux mille yeux ou du juste ayant juste un œil au milieu, lequel des deux voit-il mieux l’œil ou les mille yeux ? C’est de l’œuf du millième panier de l’œuf unique que naquit le juste aux mille yeux. Quant au juste à l’œil au milieu, il sortit du millième œuf contenu dans le même panier.

Neuf fois neuf ans plus tard, le juste mit la main au panier. Du panier neuf, il saisit neuf œufs et une seule nièce. L’attente fut longue et l’oncle attendit la tante. A tendre la tente, on finit par se détendre. Une fois à l’abri, la nièce fit la tante en couvant les neuf œufs. Elle fit de son mieux pour ajuster le milieu. Elle se mit en quatre mais quatre cadettes et quatre caduques ne caquetèrent pas. Caqueter ou se taire… un seul des neuf œufs piailla. La nièce pleura les huit défunts mais le neuvième pleurait de faim. Alors elle nourrit le survivant. Ce dernier n’avait point d’œil mais il n’eut point le temps d’en faire le deuil. Le juste à l’œil au milieu s’attendrit du jeune aveugle. En un clin d’œil, il concéda le déclin de son œil et le lui céda à l’œil. Pour le nouveau-né, alors la lumière fut, bien qu’elle fut avant qu’il ne sut qu’elle fut. Le cyclope éclopé de l’œil avait vu juste en donnant sa vue à l’aveugle de naissance. Son ultime vision l’avait éclairé sur le devenir du jeune visionnaire qui venait de naître sans œil sous l’œil attentionné de la nièce. Le sacrifice du juste avait été si prompt que la jeune couveuse n’avait pas eu le temps de constater le handicap premier de son petit protégé. Il lui eut fallu avoir l’œil pour voir ce qu’elle ne vit pas avec ses deux yeux. Au lieu donc de s’émerveiller de l’œil qu’il avait, elle se désola de celui qu’il n’avait pas. Myope de l’intérieur, elle considéra le cyclope de l’extérieur. Percevant confusément cécité et nécessité, elle se hâta de voir la nécessité de voir avec deux yeux et fit fi d’être né en cécité, ignorant la miraculée conception du monoculé.

Malvoyant, tel est vu celui qui croyait voir. Certes, avoir mille yeux à de quoi rassurer le voyant. Mais le clairvoyant n’a pas besoin de souscrire une assurance-vue. Vu ?!

Neuf fois neuf ans plus tard, le neuf moins neuf devint juste et juste devin. Dans le panier neuf, ne voyant parmi les mille œufs que l’œuf du milieu, il s’en saisit sans hésiter tel qu’il était censé s’en saisir sans cécité. D’un coin de l’œil, il voyait juste. Sa justesse se voyait comme l’œil au milieu de la figure.

Au creux de ses mains, reposait l’œuf du juste milieu. Puis en un clin d’œil, celui-ci se coupa juste en son milieu, de sorte que chaque main du juste accueillit une juste moitié de l’œuf.

Observant amoureusement les deux demies, il considéra l’incomplétude et l’entièreté de chacune. Puis sereinement, il relativisa la loi de la relativité :

œufs = un ½ d’œufs aime ces 2

Le juste milieu n’étant pas toujours le milieu du juste, le juste conclut que tout est relatif. Puis il ajouta : sauf le relativisme ! Mais il compléta par : encore que, faut voir !

Voir, se dit-il en lui-même… Voir… Mille yeux voient le milieu en mille lieux. A ceux qui affirment y voir juste, je dis : Mon œil !